Dans Le Monde un article de réflexion d'un philosophe sur ces grandes manifestations sportives qui occupent les esprits et dilapident des milliards en temps de crise où tout le monde (pas tout à fait et justement là est le problème) est prié de se serrer la ceinture.
Fabien Ollier est directeur de la revue Quel sport ? Il a publié un grand nombre d'ouvrages participant de la critique radicale du sport dont notamment L'Intégrisme du football en 2002, Footmania en 2007, Le Livre noir des J.O. de Pékin en 2008. A quelques jours de l'ouverture de la Coupe du monde de football, Fabien Ollier dresse un état des lieux sans concession de cette grand-messe planétaire orchestrée par "la toute-puissante multinationale privée de la FIFA".
Vous comparez le sport en général, le football en particulier, à une aliénation planétaire. Que vous inspire la Coupe du monde ?
Fabien Ollier : Il suffit de se plonger dans l'histoire des Coupes du monde pour en extraire la longue infamie politique et la stratégie d'aliénation planétaire. Le Mondial sud-africain ne fait d'ailleurs pas exception à la règle. L'expression du capital le plus prédateur est à l'œuvre : les multinationales partenaires de la FIFA et diverses organisations mafieuses se sont déjà abattues sur l'Afrique du Sud pour en tirer les plus gros bénéfices possibles. Un certain nombre de journalistes qui ont travaillé en profondeur sur le système FIFA ont mis en évidence le mode de fonctionnement plutôt crapuleux de l'organisation. Ce n'est un secret pour personne aujourd'hui. De plus, il y a une certaine indécence à faire croire que la population profitera de cette manne financière. Le nettoyage des quartiers pauvres, l'expulsion des habitants, la rénovation luxueuse de certains townships ont été contrôlés par des "gangs" qui n'ont pas l'habitude de reverser les bénéfices. Avec la majorité de la population vivant avec moins de 2 euros par jour, cet étalage de richesse est pour le moins contestable.
Le déploiement sécuritaire censé maintenir l'ordre, assurer une soi-disant paix civile n'est autre en réalité que la construction d'un véritable Etat de siège, un Etat "big brother". Les hélicos, les milliers de policiers et de militaires ne sont là que pour contrôler, parquer la misère et protéger le luxe, pour permettre aux pseudo-passionnés de football de "vibrer". La mobilisation de masse des esprits autour des équipes nationales induit la mise en place d'une hystérie collective obligatoire. Tout cela relève d'une diversion politique évidente, d'un contrôle idéologique d'une population. En temps de crise économique, le seul sujet qui devrait nous concerner est la santé de nos petits footballeurs. C'est pitoyable.
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Une autre image d'Epinal du football lui attribue un rôle d'exutoire des nationalismes et des guerres.
La symbolisation de la guerre n'existe pas dans les stades, la guerre est présente. Le football exacerbe les tensions nationalistes et suscite des émotions patriotiques d'un vulgaire et d'une absurdité éclatants. Je réfute l'idée d'un procès de civilisation. Le sport provoque une forme de violence différente, moins évidente qu'une bombe mais ne participe absolument pas à un recul de la violence. Il y a de multiples coups d'épingle à la place d'un grand coup d'épée.
texte intégral dans Le Monde
En complément , sur les milliards dépensés pour le sport et les spectacles du nouveau cirque en temps de crise, voir dans Libération ce texte collectif de divers philosophes, anthropologues, sociologues de plusieurs pays : arrêtons de construire des stades en Europe.
qui, parmi d'autres réflexions, exprime ceci :
Le 28 mai, la décision sera prise pour désigner qui, de la Turquie, de l’Italie ou de la France accueillera l’Euro 2016. Pour la France, il faut encore faire la preuve que le 1,74 milliard d’euros prévu pour les travaux de construction et de rénovation des douze stades sélectionnés sera suffisant. Que signifient toutes ces nouvelles folles dépenses en France et dans une Europe en proie au vertige de la récession et du déclin des économies nationales et de leur Union ? Que peut vraiment le stade, aujourd’hui, dans cette crise qui risque de précipiter les économies nationales vers la faillite ? Car on nous présente en effet le stade comme un «espace de vie», un «espace de rencontre», le lieu de réjouissance des familles, et il représente, selon les propos de Jacques Herzog, l’un des deux architectes du stade olympique de Pékin (le «nid d’oiseau»), un «espace démocratique», tandis que Philippe Séguin l’avait élevé au niveau d’un lieu d’«intérêt général» pour la France.
On le sait, le stade n’est pas une enceinte indifférente au contexte sociopolitique, un espace neutre, un simple outil, un lieu d’accueil des compétitions sportives. Le stade est bien autre chose qu’un cadre architectural efficace. Le stade est partout en Europe le lieu d’incubation des pires violences, là où couvent les comportements les plus répugnants et ce, quoi qu’en disent nombre de politiciens, de pseudo-sociologues et de pseudo-spécialistes toujours prêts à minimiser sa réalité effroyable : xénophobie, antisémitisme, racisme, concentration massive de toutes les bêtises, de toutes les violences… Or, cette réalité est mise en œuvre non par quelques dizaines d’hurluberlus mais par des milliers d’individus regroupés en troupes d’assaut et en proie à un déchaînement pulsionnel sauvage. Si bien qu’aujourd’hui, dès qu’on parle de stade, sont immédiatement associés à son image un ensemble d’éléments de répression venant en conséquence directe d’actes répréhensibles commis en leur sein ou à leurs alentours. Le Public order Act anglais (1986) interdit ainsi de stade les éléments violents connus des services de police ; il fut suivi par le Football offences Act (1991) qui punit de peines de prison les individus se livrant à des chants racistes et injurieux, jetant des objets sur les joueurs ou encore des supporters envahissant le terrain; en France, le projet de loi Hortefeux prévoit d’interdire temporairement les déplacements de supporteurs de football; la vidéosurveillance est généralisée dans la plupart des stades et à leurs abords comme est généralisée la mise en place d’un fichier national des interdits de stade et que se développe la trace informatique des spectateurs; sans parler des écoutes téléphoniques, des filatures, des infiltrations des bandes et le recours, encore en Angleterre, aux «spotters», des chasseurs de faciès spécialisés dans l’identification des individus à risque.