Bordeaux n’en finit plus d’être troublée par “ "l’affaire Saint-Eloi” ". Du nom de cette paroisse confiée à une association intégriste par la mairie. La soutane de son curé, Philippe Laguérie, apparaît dans le reportage “ "A l’extrême droite du Père” ", diffusé en mai par “ "Les infiltrés” " (France 2). A l’évidence, l’octroi de cette église, en centre-ville, a permis à tout un réseau intégriste de prospérer. Une librairie s’est ouverte en face. Sa cave héberge volontiers des extrémistes qui disent s’entraîner à prendre les armes contre les musulmans. Sans parler de l’école des enfants de la paroisse, Saint-Projet, dont l’ambiance (des gamins chantant des chants nazis et des cours d’histoire taisant la Shoah) a choqué.


Juste après le reportage, Alain Juppé, maire de Bordeaux, s’est dit scandalisé. Il exige des poursuites, insiste sur le fait que la mairie n’a plus de liens avec l’école Saint-Eloi, mais peine à expliquer pourquoi son équipe a souhaité confier sa rénovation et son exploitation à des intégristes, contre l’avis de tous, en 2002.


A l’époque, Philippe Laguérie n’est pas encore rallié à Rome. Ses coups de force pour occuper des églises, ses propos sur l’influence des juifs dans les banques et les médias, son soutien à Paul Touvier et à Jean-Marie Le Pen l’ont totalement marginalisé. L’archevêché de Bordeaux tente de mettre en garde la mairie. Mgr Ricard fait même un recours. Sans succès. La municipalité s’entête et va jusqu’à contourner la loi pour offrir ce bail aux intégristes. A l’époque, déjà, ses arguments en faveur du pluralisme culturel n’ont convaincu personne. Pourquoi une telle obstination, à l’évidence contre-performante du point de vue électoral, puisque même l’Eglise catholique s’y opposait ?


C’est la question que posent et reposent avec insistance les élus de l’opposition, notamment Gilles Savary, Naïma Charaï et la députée de la Gironde Michèle Delaunay. Une nouvelle piste vient d’éclairer le dossier : l’influence du cabinet d’avocats Rivière, très bien introduit à Bordeaux et très engagé aux côtés des catholiques intégristes de la ville.


Thomas Rivière, l’un des associés, dirige l’association d’enseignement populaire de Saint-Projet, l’école hors contrat qui apparaît dans “ "Les infiltrés” ". Son cabinet gère près de 70 % des affaires de défiscalisation en matière de rénovation de patrimoine historique. Un marché considérable, surtout à Bordeaux. La ville a confié de nombreux chantiers à un architecte, Philippe Tilliet, dont le nom est cité dans plusieurs affaires où l’argent prévu pour les travaux s’est envolé. A la suite de ces scandales, révélés par Le Monde et Sud Ouest en 2009, le cabinet Rivière – qui travaille avec cet architecte dans 19 dossiers – a écrit à ses investisseurs pour les rassurer. Au détour d’une phrase, il se félicite d’être “ "à l’origine” " d’une dizaine de modifications de textes fiscaux touchant à la rénovation de patrimoine historique, notamment pour éviter son plafonnement. Or ces amendements à la loi de finances de 2006 ont été portés par Hugues Martin, alors député remplaçant d’Alain Juppé.


L’un des associés du cabinet Rivière, Vianney Rivière, a également conseillé l’Association nationale chargée du label Villes et pays d’art et d’histoire, un temps présidée par le maire de Bordeaux. On y croise Martine Moulin-Boudard, adjointe au patrimoine de la mairie. C’est elle qui a oeuvré au conseil municipal pour confier la rénovation de l’église Saint-Eloi à un groupe extrémiste proche du cabinet Rivière. Il ne s’agit pas d’en déduire un lien d’ordre financier, mais de comprendre par quelles connaissances communes les intégristes ont pu plaider leur cause.


L’opposition réclame la fin du bail dévolu aux occupants de Saint-Eloi, plus de transparence en matière de rénovation du patrimoine, ainsi qu’un débat sur Saint-Projet. C’est l’autre aspect du dossier qui attend une réponse : que fait-on pour éviter que des écoles hors contrat lavent le cerveau de futurs citoyens en toute impunité ?


Caroline Fourest



Article paru dans Le Monde du 4/06/10