Un prix récemment décerné par le site d'un personnage assez trouble, au nom de la "liberté d'expression", à trois individus qui ne cessent d'attiser diverses haines racistes, devrait nous faire réfléchir . Il s'agit de Zemmour, Dieudonné et Ch. Tasin de Riposte laïque (ne manquaient que les "Indigènes de la République", qui ne sont jamais loin du reste dès qu'il s'agit de Dieudonné) qui sont récompensés par ce site pour leur supposée "liberté de parole".
La liberté d'expression est malmenée et détournée de sa signification quand elle est assimilée au "droit" de proférer des propos racistes, discriminants et qui chauffent les esprits dans le sens de la bêtise et de la haine envers certains groupes culturels et certaines minorité en véhiculant des idées méprisantes ou disqualifiantes.
Trois individus qui ne cessent de raisonner en termes communautaristes et de s'en prendre aux autres, à divers autres, les uns parce qu'ils sont Noirs et Arabes (Zemmour au nom de la soi-disant défense des "Français" blancs de peau et des Juifs , au nom d'une certaine idée de la Nation qui ressemble à celle de Besson-Hortefeux où affleurent de plus en plus ses idées frisant l'extrême-droite), les autres parce qu'ils sont musulmans ( Ch.Tasin de Riposte laïque, sous prétexte de défendre la République contre les "autres" musulmans), les autres parce qu'ils sont Juifs (Dieudonné sous prétexte de défendre les Palestiniens) : diverses causes, un même racisme, des idées également nauséeuses, mais toutes proférées au nom d'une grande cause, disent-ils : la Justice, la République, y compris une République communautarisée et fictive, débarrassée des "autres" fantasmés.
Le cas le plus ambigu et qui nécessite une petite explication est Zemmour. Zemmour a récemment stigmatisé les Noirs et les Arabes parmi lesquels se recrutent plus de délinquants, en proportion, que dans le reste de la population. Zemmour parle statistiques mais sans préciser que les statistiques indiquent aussi que là où se recrutent le plus de délinquants, c'est chez les pauvres. Or il se trouve que parmi les pauvres et les populations abandonnées aux périphéries des grandes agglomérations et victimes d'une grande injustice sociale , les Noirs et les Arabes sont particulièrement nombreux. D'où leur représentation dans les statistiques de la délinquance ; ce qui ne l'excuse pas, mais explique les statistiques. Et sous prétexte de ce fait que la population d'origine d'Afrique fournit plus de délinquants en omettant la cause, soit la proportion de pauvres dans certains groupes, Zemmour laisse entendre que c'est en tant que Noirs ou Arabes, comme si ces appartenances portaient génétiquement ou culturellement à la délinquance et non en tant que pauvres, marginalisés et peu éduqués, à l'éducation politique ratée, qu'ils fournissent une proportion nettement plus élevée que pour le reste de la population dans les statistiques de la délinquance. Car aujourd'hui la majorité des "classes dangereuses " comme la bourgeoisie appelait autrefois les ouvriers, a des origines extra-européennes. Sous ce prétexte donc Zemmour justifie les contrôles policiers au faciès et même l'emploi et l'embauche sur critères ethnico-culturels, racistes, car lui Zemmour, il croit aux races ! Et c'est au nom de ce critère, racial et raciste, qu'il s'autorise ses diatribes provocatrices. Un grand penseur à n'en pas douter, certainement très cultivé, qui tire un trait sur les conditions économiques pour se réfugier dans une argumentation univoque qui ne voit que des données ethniques sur des bases racistes, à un phénomène qui concerne l'ensemble de la société quand la République ne parvient plus à intégrer une partie des populations d'ailleurs !
Il ne sait pas que la notion de race est récusée depuis près d'un siècle par la biologie et en particulier la génétique, et d'un emploi banni en politique, et en sociologie et dans toutes les sciences humaines depuis les racismes du siècle dernier et ce à quoi ils ont conduit. Jamais entendu parler de Levi-Strauss, Zemmour. Particulièrement attardé et peu cultivé ce type, il faut croire, ce qui ne l'empêche pas, au contraire, de faire son cirque dans les media.
Plus retord que Dieudonné qu'on voit venir de loin avec ses associations qui pèsent 16 tonnes, curieusement appelées "humour", le cas Zemmour mérite quelques mises au point :
Zemmour croit en l’existence des races, il l'assure sans vergogne.
Zemmour affirme qu'il croit à l'existence de races, en conséquence de quoi certaines auraient donc des traits spécifiques qui les porteraient à la délinquance
Il ose l'affirmer explicitement et se retrouve à dire que certaines races sont plus sujettes à la délinquance que d’autres. Ainsi, comme le Front national qui tient le même discours, Zemmour peut montrer qu'il croit en l’inégalité des races en enfonçant le clou avec ses sous-entendus à peine sous-entendus selon lesquels la délinquance appartient à certains groupes culturels (appelés races). Il justifie les racistes et les antisémites. Il se trouve cité par l'extrême-droite qui l'utilise, -les propos de Zemmour sont encensés sur tous les sites communautaires se qualifiant de « français de souche »- mais il n'est soutenu par aucun de ses membres en cas de procès où il est mis en accusation pour cause de propos discriminatoires (pas un seul témoin parmi ceux qui le citent constamment ne s'est déplacé) car ceux qui sont prêts à reprendre ses propos ne le sont pas à défendre l'homme aux origines qui ne sont pas strictement "gauloises de souche", et détesté en tant que tel par ceux qui le citent et l'utilisent. Il ne se demande pas pourquoi ?
Zemmour serait bien avisé d'arrêter son cirque.
[ voir sur Rue89, un universitaire démonte la logique raciste de Zemmour]
Dieudonné lui, poursuit le sien depuis quelques années, sans discontinuer, malgré diverses condamnations pour antisémitisme.
Mais Dieudonné avec son antisémitisme obsessionnel ne se présente plus . Et ses prétendues défenses des Palestiniens sont un prétexte qui éclate au grand jour quand il tisse des courrones au Hezbollah et aux mollahs d'Iran, s'allie avec des fascistes en France et à travers le monde et donne la parole à des négationnistes et lorsque ,constamment et à toute occasion; il s'en prend aux juifs appellés sionistes, dans des registres et sur des thèmes qui semblent la plupart du temps extraits des Protocoles et des pires thèmes antisémites, pour, soi-disant, défendre les Noirs et dénoncer l'histoire de l'esclavage. Son communautarisme ne parvient plus à masquer son antisémitisme depuis longtemps.
Quant aux agités de" Riposte laïque" menés par Pierre Cassen, leurs alliances avec l'extrême-droite radicale identitaire lorsqu'elle exprime son racisme anti-arabe , en termes d'opposition à l'islam et aux musulmans, son islamophobie attribuant à un supposé islam éternel les traits des islamistes d'aujourd'hui, cela sous prétexte de défendre la laïcité républicaine et la France (comme le fait le FN nouvelle formule avec Marine Le Pen) c'est une affaire entendue. Le dérapage est incontrôlé. Ils défendent la République, mais uniquement pour les "purs nationaux" non musulmans, les seuls considérés comme Français, sans s'interroger eux non plus sur le système économique qui déstabilise et ronge le système politique.
Ils sont tout aussi caricaturaux, en miroir inversé, que ceux qui du point de vue communatariste arabe, prétendent que tous les Français venus d'Afrique et d'ailleurs seraient des "indigènes" d'un Etat colonial, les colonisés de l'intérieur, et pour cette raison développent eux aussi une haine et un racisme biens réels, mais envers les Français sans origines étrangères considérés comme "colonisateurs" , mêlé à un antisémitisme farouche, sous prétexte de "défense des Palestiniens" .
Bref tous ces porte-voix de divers racismes, qu'ils soient communautaristes ou au nom de la République, ne sont néanmoins que des racistes qui contribuent à pourrir encore davantage la situation politique à coup de confusions malsaines et dangereuses et ne font qu'ajouter du mal au malheur du monde et aux maux auxquels ils prétendent vouloir remédier. Comme si le symptôme Sarkozy à la tête de l'Etat doublé de Hortefeux ne suffisait pas à inciter à tourner plusieurs fois dans sa tête les questions avant de s'exprimer en public. Comme si le fait qu'une partie de la population exaspérée par de sérieux problèmes sociaux -résultats du capitalisme dans ses excès incontrôlés-, partage de plus en plus facilement les thèmes racistes et certains thèmes du FN, dans la mesure où il s'agit de faire porter aux "étrangers" (qui sont souvent Français) toutes les responsabilités de ce qu'on appelle la "crise économique" qui n'est que le cache-nom hypocrite et le cache-sexe pudique d'un certain nombre d'effets nocifs de l'accumulation capitaliste dans ses formes actuelles. Comme si ce fait d'une économie incontrôlable mettant gravement en crise la politique et les institutions, ne suffisait pas à inciter à la prudence et à la réflexion avant d'étaler ses propos irresponsables en public.
Il faut encore des irresponsables pour couronner ces irresponsables !
Car la crise est politique, du fait que l'économie accentue les inégalités et laisse de côté une grande partie de la population, marginalisée, et menace la plupart des catégories d'un abaissement et d'une précarisation de leur condition. Conséquence : une partie de la population se laisse abuser par les sirènes du FN qui, comme Zemmour et les autres individus cités, use de la rhétorique raciste pour trouver un coupable à la crise, l'Arabe, le Noir, le musulman, le Juif, selon les préjugés de chacun détournant des vraies questions.
Un prix vient d'être décerné à ces trois individus Zemour, Dieudonné, Ch. Tasin, rassemblés dans ce qui les unit, le racisme, par un site internet bidon, suite à un sondage bidon, au nom de ce qui serait, selon celui-ci, la liberté d'expression.
Si la liberté d'expression en est là et si elle a besoin de ce genre de supposés défenseurs, on est mal barré.
Caroline Fourest, toujours aussi pertinente signale cet événement attristant, farce sinistre qui rassemble ces 3 individus dont aucun n'a été gêné de se retrouver en compagnie des autres, en particulier de Dieudonné aux amitiés et sympathies fascistes explicites et à l'antisémitisme compulsif, pour ceux du moins, les deux autres, qui prétendent être partis en guerre contre les dangers qui menaceraient la République et au nom de celle-ci.
On ne croyait guère à ce prétexte de défense de la République pour étaler sans vergogne son racisme plus ou moins latent jusqu'alors, mais les confusions sont en effet faciles à faire lorsque l'immondice raciste est enrobée de papier de soie, et fermée par un joli fil doré, la référence usurpée à la République, aussi longtemps du moins qu'on n'a pas ouvert le paquet. Il sera maintenant beaucoup plus difficile de prétendre maintenir cette confusion entre République, laïque et la même pour tous, et racisme, et de demeurer dans le même aveuglement face à l'extrême-droite qui avance masquée des oripeaux de la laïcité et de la République.
Voici de qu'écrit Caroline Fourest dans le Monde sous le titre "De la liberté d'éructer".
C'est une scène un peu baroque, tournée dans un café parisien. Tout sourires et même hilares, Eric Zemmour, Dieudonné et Christine Tasin (de l'association Riposte laïque) ont fait le déplacement pour recevoir le "Prix de la liberté d'expression". Rien de très officiel. La cérémonie est organisée par un site Internet, sur la base d'un sondage croupion. Mais le tiercé est là, et révèle une grande confusion.
Quoi de commun entre Eric Zemmour l'anti-politiquement correct (entendez, il y a trop d'antiracistes), Dieudonné l'anti-lobby sioniste (entendez, il y a trop de juifs dans les médias) et Christine Tasin l'anti-islamisation (entendez, il y a trop de musulmans en France). Eh bien ça, justement ! Quand ils parlent, ce n'est jamais pour être précis et pédagogues, mais plutôt pour flatter le raccourci et les sous-entendus.
Bien sûr, chacun a ses petites obsessions. On les sentait un peu gênés de se trouver si complices à la faveur d'un public commun. Mais pas tant que ça. Heureux aussi. D'avoir des soutiens, et surtout d'apparaître dans le beau rôle du "résistant". Celui qui ne ferme pas sa gueule. Et bien sûr, ils ont le droit.
Eric Zemmour ne devrait pas risquer sa place au Figaro parce qu'il penche à droite de la droite. Dieudonné ne devrait pas se faire casser la gueule parce qu'il compare les juifs à des négriers ou à des nazis, tout en faisant applaudir un négationniste. Christine Tasin ne devrait pas recevoir des menaces parce qu'elle hurle dans des mégaphones contre l'"hallalisation". De là à glorifier leurs éructations...
Il existe une grande différence entre ceux qui militent pour éviter que les lois antiracistes ne dérivent en lois antiblasphème, comme ce fut le cas au moment de l'affaire des caricatures sur Mahomet, et ceux qui militent pour faire sauter le verrou des lois antiracistes. Comme nos trois lauréats.
Une loi antiblasphème sert effectivement à bâillonner la liberté d'expression et même à justifier la persécution des minorités religieuses. Comme en ce moment au Pakistan. Asia Bibi, une chrétienne, vient d'être condamnée pour avoir osé comparer Jésus à Mahomet. Le gouverneur du Penjab qui tentait d'abolir cette loi vient d'être assassiné... C'est le lot quotidien de ceux qui défient les intégristes. Vivre à vie sous les menaces de mort. Comme Taslima Nasreen. Comme les dessinateurs danois, qui continuent à être régulièrement la cible d'attentats.
Les pourfendeurs des lois antiracistes ont la vie plus douce. Ils risquent au mieux une amende ou d'être moins invités à la télévision. Et encore. A condition d'y mettre les formes, comme Eric Zemmour, le politiquement incorrect a plutôt la cote. Quant à recevoir des seaux d'injures sur Internet, chaque fois qu'une prise de position dérange, c'est le lot quotidien de toute personne publique.
Le conflit israélo-palestinien est un thème idéal. A moins d'être particulièrement borné, on récolte autant de crachats d'un côté que de l'autre. Les deux extrêmes rivalisant de rage et de mauvaise foi pour intimider leurs contradicteurs. Et bien sûr, ils se servent du chantage à l'antiracisme : "l'islamophobie" pour les uns, l'"antisémitisme" pour les autres. Une tactique d'autant plus difficile à déjouer qu'il existe effectivement des anti-intégristes racistes et des antisionistes antisémites. Du coup, tout le monde s'y perd. Et le débat devient fou. Au point d'interdire une conférence de Stéphane Hessel à l'Ecole normale supérieure. Absurde. Autant que de boycotter des réalisateurs israéliens... parce que Israéliens.
Ce sont ces confusions qui mettent la liberté d'expression en danger. Le moins que l'on puisse dire, c'est que nos trois lauréats se donnent du mal pour y contribuer.
Essayiste et journaliste, rédactrice en chef de la revue "ProChoix", elle est l'auteure notamment de "La Tentation obscurantiste" (Grasset, 2005) et de "La Dernière Utopie" (Grasset, 2009). Caroline Fourest (Sans détour)