Miklos sur son blog donne son récit d'un séminaire qui s'est tenu à Sciences Po au sujet de wikipedia et qui confirme mes observations et analyses.
photo :boue volcanique, l'Internaute
D'abord il apparaît comme un clivage générationnel :
« Pour résumer très schématiquement – et donc quelque peu caricaturalement – ce débat de deux heures, on pourrait dire qu’il départageait deux groupes d’âge. Les « moins jeunes » défendaient des positions critiques, sceptiques, voire carrément négatives, tandis que les autres – principalement des étudiants, semble-t-il – faisaient fi de ces arguments et adoptaient une attitude pragmatique : c’est là, faisons avec. »
Ensuite se pose la question de l'analyse des pratiques engendrées par wikipedia.
Sur ce point les statistiques de wikipedia sont, aussi curieux que cela puisse paraître, totalement lacunaires. Alors que les moyens techniques existent bien entendu pour connaître l'usage qui est fait de wikipedia, pour quoi elle est consultée, et aussi comment elle est composée et par qui, celle-ci laisse ces aspects importants dans l'obscurité la plus totale. Ce qui, à mon avis, n'est pas un hasard, mais relève de ses principes mêmes, et vient compléter logiquement l'anonymat et l'absence de présentation des participants. C'est un choix délibéré de wikipedia (son fondateur) de ne laisser prise à aucun moyen de contrôle de ce qu'il s'y passe, à l'intérieur, comme à l'extérieur (son usage). On risquerait de voir, en effet, qu'à part quelques amateurs éclairés, qu'ils soient observateurs des étoiles ou des oiseaux, ce sont de jeunes techniciens en informatique complètement incultes qui sont ses principaux rédacteurs, excluant par principe la participation de toute personne qualifiée dans un domaine qu'il relève des arts des lettres ou des sciences. Pour en arriver à cette conclusion il faut donc avoir soi-même au préalable pris le temps d'une longue et minutieuse observation personnelle. Ce que j'ai fait. Elle est corroborée par tous les observateurs (voir par exemple l'historien américain Roy Rosenszweig , comme je l'ai cité).
Mais tout cela n'est pas recensé par wikipedia qui dissimule soigneusement les informations qui permettraient d'évaluer facilement et rapidement quelques uns de ses aspects révélateurs. Certaines études prouvent un déclin des participants actifs. Et d'autre part, d'après les seules statistiques connues (le succès du site sur le net) le nombre de consultations continue à croître, du fait en particulier qu'elle continue à se développer et est utilisée par un nombre important d’internautes, qui peut s'analyser ainsi :
Cette « popularité [est] démultipliée par l’adoption mimétique et acritique de Google comme moteur de recherche3 : ce dernier favorise les réponses qui proviennent de la Wikipedia4 tout en encourageant le choix de la toute première réponse, quelle qu’elle soit, celle de l’intuition de la machine (le bouton « J’ai de la chance »). Cette démarche de l’effort minimum – physique (il suffit d’un clic) et intellectuel (inutile d’effectuer un choix) – encourage le renforcement et la diffusion des idées reçues.
Cette solution de facilité, qui est de l’ordre de la satisfaction immédiate du désir, est à l’opposé de la réflexion critique, abolie devant la notoriété quasi universelle d’un label : on croit tout ce qu’on y voit, comme, auparavant, « c’est vrai puisque c’est dans le journal ». Or il s’avère que tout n’est pas « vrai » dans Wikipedia, ou, comme l’a dit Pierre Assouline dans son introduction, il s’agit d’une « vérité mouvante », au fil des corrections et des modifications qui y seront apportées. Même si les erreurs – intentionnelles ou non – sont corrigées rapidement (ce qui n’est pas toujours le cas, loin s’en faut), elles auront le temps de se propager sur l’internet, d’y être démultipliées à l’infini et d’y rester figées pour l’éternité (technologique) dans leur état de vérité temporaire, pour être, comble de l’ironie, reprises dans des ouvrages « de papier », comme l’a constaté Pierre Assouline à son propre propos.
Comme l’ont souligné plusieurs participants, ce mode de fonctionnement, inhérent au « système », est contraire à la construction du savoir, non par son mode d’élaboration collaborative – les sciences, les arts ne s’enrichissent-ils pas de contributions successives ? — mais par son rejet de l’auteur responsable (la signature) et de l’autorité compétente (le jugement des pairs) »
L'auteur rappelle que les lettrés ont toujours eu conscience de l'héritage de la culture dont ils étaient redevables, et d'être venus après de grands ancêtres dont ils étaient redevables en tout et par rapport auxquels ils se jugeaient eux-mêmes avec humilité. Ce que résume la célèbre formule des scolastiques : « nous sommes comme des nains juchés sur les épaules de géants »
En comparaison wikipedia semble bien être aux antipodes d'une telle attitude de respect et d'humilité à l'égard d'une culture dont les wikipediens ne se sentent nullement redevables ni héritiers et dont ils paraissent se soucier aussi peu qu'il est possible.
L'article poursuit en rapportant que fut soulignée dans ce séminaire, la nécessaire prise en compte des « savoirs étrangers aux sciences dites dures, des analyses, des critiques et des prises de position pour en faire émerger le sens. Or celles-ci sont contraires à l’« éthique » de la Wikipedia, qui encourage la « neutralité des points de vue ». En conséquence, tout se vaut, et l’on peut, comme l’a donné un participant en exemple, mettre objectivement en balance les aspects positifs et négatifs du nazisme, ou fournir une liste de références sous forme de liste plate à l’ordre aléatoire, tout le contraire d’une bibliographie critique.
Ce dernier point soulève la question des sources, essentielle dans la constitution du savoir. Pour partie, Wikipedia référence des documents électroniques en donnant leur adresse sur le Web... » ce qui est évidemment insuffisant et surtout dit bien le rapport qu'entretiennent les wikipediens à l'histoire et à la culture passée. Ce qui n'est que logique du reste, de la part de jeunes geeks et techniciens en informatique, qui ne composeraient pas wikipedia s'ils étaient historiens, philosophes et épistémologues, anthropologues, historiens de l'art, ou tout autrement qualifiés dans les diverses disciplines du savoir et de la culture.
Ceux-là ne perdent pas leur temps avec wikipedia.
Ce que souligne encore l'article de Miklos :
« Il est bon de se souvenir que le terme « encyclopédie », que revendique Wikipedia, est dérivé de l’expression grecque signifiant « ensemble des sciences qui constituent une éducation complète »6. Or la Wikipedia, malgré le nombre important de ses articles, n’est pas exhaustive : certains sujets n’y sont pas traités, d’autres ne le sont que sous forme d’ébauche. Il nous semble que ce genre de lacunes concerne surtout ce qui n’est pas présent sur le Web (et tout n’y est pas), les contributeurs se servant beaucoup du Web pour nourrir ce Moloch. À ce titre, on pourrait dire que la Wikipedia reflète, finalement, ce qui se trouve déjà principalement sur le Web, le meilleur comme le moins bon, sous forme de choix synthétique qui en facilite l’usage.
Il n’y a donc pas lieu de s’étonner, comme l’ont fait certains, de l’absence des intellectuels dans les débats à propos de la Wikipedia, et probablement aussi dans sa constitution. »
Il n'y a pas lieu de s'en étonner en effet, et je ne dis pas autre chose : le mal c'est l'anonymat et l'irresponsabilité qu'il engendre ainsi que l'incompétence des rédacteurs autorisée par cet anonymat, l'absence de contrôle et de supervision, décidée par principe, et qui est le contre-coup logique de l'écriture collective autorisant l'absence de sources qui font référence et reconnues par les pairs, car hors internet les wikipediens sont perdus, ne connaissent rien.
Le point délicat de la propagande n'a pas été abordé à ce séminaire, semble-t-il, d'après le récit de Miklos, du moins. Elle est pourtant la conséquence logique et inévitable de ce qui précède.
Alithia
PS. Pour ceux qui n'auraient pas compris un nom d'emprunt choisi pour nom de plume fait partie des libertés ordinairement accordées à tout honnête homme dans une démocratie et il n'y a rien à dire à cela, hormis lui dénier cette liberté que lui reconnaît la loi. Cela ne fait pas disparaître l'auteur et ses responsabilités puisque derrière le nom de plume il y a un auteur et un seul.
Ce qui n'a absolument rien à voir avec l'anonymat wikipedien qui fait partie de tout un système qui ne pourrait exister sans lui (absence de hiérarchisation des contributeurs-sans-qualités et absence de hiérarchisation des sujets, "neutralité" , écriture collective, non-reconnaissance des savoirs établis etc. ) et permet distorsions et infiltration d'idées qui n'ont pas leur place dans une encyclopédie.