Je le pense aussi.
Mais le message était aussitôt désamorcé de l'intérieur par le fait même de cette interview qui se révélait en elle-même piégée, plus que jamais mêlant la vie privée et affaires publiques. Après avoir abusé de l'exhibition dans les media qui commençait à saturer ce "j'ai changé" aurait été plus crédible s'il avait été signifié par une éclipse momentanée, un éloignement des media. Il aurait fallu donc se taire. Cela eût été un vrai changement. Et pourtant il fallait qu'elle parle et se montre, s'expose encore, puisque le mariage avait été tenu secret, personne ne l'avait vue en mariée immaculée et devenue toute sage. Elle voulait non l'évoquer et le laiser deviner, mais le montrer en images s'affichant en tous lieux : une nouvelle icône à imprimer dans les têtes voulait se montrer partout. La stratégie de communication adoptée voulait qu'elle fasse encore un coup médiatique pour annoncer qu'elle avait désormais changé de personnage. Remisée la guitare, les photos de nus aussi, remisant au placard le top-model à l'image passée mais présente partout, un nouveau personnage est né "Madame la-première-dame-de-France" : un faire-part officiel. Mais surtout, une nouvelle icône.
J'écrivais :
" Il s’agit de la construction d’une image de commande [...]
La seule sagesse eut été le silence, en ces circonstances. Mais Sarkozy ne rime pas avec silence, apparemment. Carla pas sûr non plus que la discrétion et la sagesse qui imposent dans certaines circonstances de savoir se tenir loin des sunlights soient ses principales vertus.
Ils font à eux deux toutes les “une” des magazines, occupent l’espace.
Incapables tous les deux de se taire sur l’affaire du SMS, en tout cas.
La prudence et la mesure selon Aristote, et d’autre part la nécessaire dissimulation de ses désirs, passions et vices privés qui ne doivent jamais se laisser voir en public, selon Machiavel, sont des vertus politiques nécessaires au talent de l’homme politique. Mais elles sont aussi la condition d’un possible exercice du pouvoir, dans tous les cas, et de la démocratie en termes aristotéliciens.
L’excès et l’impudeur nuisent, à l’autorité politique et à l’exercice du pouvoir."
Construction d'une image, pour une politique post-moderne qui avait depuis toujours oublié , ignoré, Aristote et Machiavel et tous les préceptes de l'histoire et de la politique classique.
Le bon mot du Monsieur qui la surnommerai, dit-on, Carla da Medici n'a oublié qu'une chose : le talent politique florentin est du côté de Machiavel et n'a jamais été du côté des princes Medicis incités par le grand florentin à laisser leur cour et entrer dans l'histoire en devenant les artisans d'un Etat réalisant l'unité italienne et "délivrer l'Italie des barbares".
et ce conte relève de la technique du "storytelling" :
" Depuis son élection, Nicolas Sarkozy nous raconte des histoires : des histoires de rencontre et de séparation, de succès et d’échec, peuplées de victimes méritantes et de héros anonymes. Certaines se terminent mal comme le divorce avec Cécilia, d’autres connaissent un happy end comme la libération des infirmières bulgares. Il y a des épisodes fabuleux comme ce conte de fées où l’on voit une cendrillon de banlieue, la ministre de la Justice Rachida Dati, se transformer en princesse moderne dans Paris Match avec la complicité de grands couturiers. L’idylle avec Carla Bruni fournit un nouveau rebondissement dans la vie passionnante et passionnelle de Nicolas Sarkozy. Elle arrive au bon moment après une semaine calamiteuse au cours de laquelle c’est Khadafi, le grand méchant loup du conte de fées, qui a fait l’actualité. En quelques heures l’attention des médias s’est déplacée du vilain Khadafi à la belle Carla. Bref, il se passe toujours quelque chose avec Sarkozy : une ex-mannequin chasse une autre ex-mannequin… Il n’y a guère que les pauvres petites filles riches comme Cécilia pour s’ennuyer à l’Elysée."
l'explication :
" Sarkozy applique les techniques de contrôle des médias que le Bureau d’information de la Maison-Blanche a mises au point progressivement depuis Reagan, jusqu’à Bill Clinton et George W. Bush. Dick Cheney l’actuel vice-président, l’exprime sans détour : « Pour avoir une présidence efficace, la Maison-Blanche doit contrôler l’agenda. Si vous laissez faire la presse, ils saccageront votre présidence… » Dans ce but, à Washington, le pouvoir présidentiel doit inventer chaque jour une bonne histoire, la story du jour qui capte et focalise l’attention des médias et du public." voir[ source ]
L'analyse d'André Gunthert s'en distingue, car il pense que c'est la révélation d'un style caché qui fait l'essentiel de l'affaire de la perte de confiance :
" Si l'on cherche à démêler les raisons du brutal retournement qui affecte l'aura présidentielle depuis le début de l'année, à travers les nombreux articles qu'y consacrent les médias, on finit par comprendre que, derrière la plongée des sondages, les journalistes ont un aliment solide. Celui-ci est apporté par les "remontées de terrain" que leur livrent leurs contacts politiques de retour de leur fief. Rendus plus sensibles aux signaux de l'opinion publique par la proximité des échéances municipales, les notables de droite reviennent avec un message catastrophé émanant de leur propre électorat. Au premier rang des mécontentements, l'abandon de l'objectif d'augmentation du pouvoir d'achat. Appuyé sur la réalité du porte-monnaie, confirmé par la terrible phrase des “caisses déjà vides”, ce constat paraît relever d'une analyse raisonnable. Plus surprenant est la récurrence, dans la série des récriminations, de la liaison du président avec Carla Bruni. Au-delà du conservatisme des papys et mamies, choqués d'un remariage si expéditif, comment expliquer objectivement le poids de cet argument répété dans les témoignages de terrain?
[...]
[La réception de l'histoire avec Carla ] me paraît impossible à comprendre, sauf par l'intermédiaire de la question du style, où elle intervient comme un ingrédient majeur.
[...] il ressort bien des réactions de l'électorat que cet agent pèse de façon déterminante. Durant la campagne présidentielle, les stories concoctées par Guaino, les éléments du programme et la gouaille du candidat avaient fabriqué un style gaullo-chevènementiste tout d'énergie et de coups de menton. Dès le lendemain de l'élection, les Français étaient trahis par un président qui avait promis de se retirer dans un monastère pour “habiter la fonction”, mais préférait cultiver son bronzage sur un yacht de milliardaire. Ceux qui avaient élu Astérix se retrouvaient avec Aldo Maccione. Or, le personnage de jet-setteur coureur de jupons qui a défrayé la chronique des six derniers mois avait été soigneusement caché pendant le premier semestre de l'année 2007. [...]
Personnellement je ne vois pas d'opposition entre ces deux explications. Une stratégie de communication, cela ne fait pas de doute. Importée des Etats-Unis comme une technique d'occupation de tous les media, certes. Ce qu'il fit. Mais une technique mal assimilée, comprise comme un truc vite adopté, et puis mal appliquée, de manière irréfléchie, trop vite et sans discernement ni ajustements. La technique a été adoptée sans réfléchir au contenu qu'il convenait de lui donner, ni de quelle matière devait être faite cette occupation de l'espace mediatique. Le glissement de la politique dans le supposé conte de fées n'a pas forcé l'adhésion admirative des foules naïves, mais le rejet.
La ligne a été franchie et, derrière les récits soigneusement montés, le style de l'homme est apparu : on s'apercevait qu'on avait moins affaire à un homme politique qu'à un homme d'affaires en quête de réussite pour qui le pouvoir était la voie d'accès à cette réussite là, résumée par l'argent et tous ses signes extérieurs, la belle femme "en vue" dans le media comprise dans le tableau de chasse. Il voulait une icône à la Warhol à ses côtés, pour parfaire un rêve de macho enrichi. Pas digne d'un Président de la République.